X

VETTIER, Elsa (ed.)
The Artificial Kid

Arti, un enfant vieux de plusieurs centaines d’années, a pris l’habitude de filmer le moindre de ses faits et gestes à l’aide de caméras-bourdons qui flottent en permanence autour de lui. À l’issue de chacune de ses péripéties, il monte ses bandes de films – ne gardant que les scènes qui le mettent en valeur – et les diffuse à ses fans, qui n’en perdent pas une miette. Arti est un gamin, une célébrité. Un jour, des milices s’en prennent à lui ; il est au parfum d’un secret qui pourrait compromettre le gouvernement. Arti disparaît de la surface médiatique. Il va vivre des aventures dont il doute de la véracité, puisqu’elles ne sont pas filmées, avant d’être sevré des hormones précieuses qui lui donnent ses airs de « kid ». Il entreprend alors une douloureuse mutation – l’adolescence – qui modifiera à jamais son apparence. Lorsqu’il retrouve finalement ses caméras, une inquiétude demeure ; et si ses fans ne le reconnaissaient plus ?

The Artificial Kid de Bruce Sterling est un roman de science-fiction paru en 1980. Il se déroule sur la planète Rêverie où évoluent des personnages technologiquement modifiés dont on ne compte plus les années. Si j’ai choisi d’emprunter à l’ouvrage son titre, le cycle d’expositions en trois volets que je propose à la Maison Populaire n’a pas grand-chose à voir avec l’anticipation, ni avec la science-fiction, si ce n’est celle qui s’est déjà réalisée. La recherche constante de visibilité, le livestream de soi, les relations paradoxales entre voir, être vu·e·s, et pouvoir – tels que les expérimente Arti – n’ont rien de prophétique. Le gamin artificiel a, comme nous toustes, pris en charge sa propre surveillance ; elle le récompense autant qu’elle le punit. Il a ringardisé le panoptique : l’espace depuis lequel on le voit est le même que celui au sein duquel il se montre. Sa patrouille est intérieure, sa sécurité globale, il l’a dans la peau. Arti incarne l’enfance d’un certain ordre, jusqu’à ce que l’adolescence vienne brouiller sa célébrité et déjouer son propre fichage.

Ce cycle d’expositions et d’événements s’inspire de l’arc narratif du roman afin d’envisager la « surveillance subie et agie, consommée et performée, les régimes de visibilité dont nous faisons l’expérience, leurs relations avec notre capacité d’action, l’entrelacement de logiques de contrôle et de séduction. La Maison Populaire de Montreuil, dont le public et les adhérent·e·s sont en grande partie des enfants et où les adolescent·e·s sont considéré·e·s comme des adultes à partir de 13 ans, est un lieu particulièrement opérant pour questionner la soustraction à la surveillance parentale et l’intériorisation d’un regard insituable. Prenant appui sur le fonctionnement même du centre d’art dont l’identité artistique se révolutionne chaque année, ne dessinant aucune ligne particulière si ce n’est celle d’être toujours méconnaissable, « The Artificial Kid » envisage les manières possibles de se soustraire à cette monstration de soi par l’illisibilité de nos attitudes, l’opacité de nos traces. Car « The Artificial Kid » est avant tout une histoire de mutation et de mue, de devenir autre – petit ou grand –, d’artificialité de soi.

[note de l'éditrice]

Published by Tombolo Presses / La Maison Populaire, 2022
Exhibition Catalogues

Price: 12€

VETTIER, Elsa (ed.) - The Artificial Kid